Notes sur ma peinture et ma démarche pictural

Marie SCANDELLA

Depuis mon enfance j’ai gribouillé, étalé des couleurs, composé, dessiné et apprécié oh combien l’exigence du trait, de l’ombre, de la couleur, puis, tout en conjuguant une vie de famille aujourd’hui inexistante, une vie professionnelle qui m’a fait oh combien aimé le travail, seul élément tangible à mon incertitude. Je pensais qu’une fois retraitée, dégagée de toute obligation professionnelle et familiale, j’aurais du temps pour me consacrer à cet esprit que certains qualifient de créatif, entièrement et sans détours. Et toute la difficulté réside dans ce « sans détours » car pour faire face à cet absolu qu’impose la création, il faut bien faire face à ce « sans détours ».

Sans détours c’est aussi réfléchir à ce que l’on est, ce que l’on veut faire pour continuer son chemin, faire face à l’absurdité de la vie, puisque tout va au néant. Le choix doit se faire entre le « à quoi bon ? » et « tenter de rendre ce qui me reste à vivre le plus entier possible » – Personnellement, je viens de comprendre que je peins pour vivre.  Il s’agit peut-être d’être au bord d’un précipice et d’essayer de se retenir d’y tomber ?

Ne pas oser, remettre au lendemain, ne pas se faire confiance et surtout ne pas s’aimer ; ne pas croire en soi, se punir, s’empêcher de peindre…. La conscience de ses blocages ne suffit pas ; peut-être prendre conscience qu’une liberté est possible par rapport à ce qui « empêche » ; l’acte créatif est un acte de liberté, de liberté absolue, et cette liberté – là exige de passer outre ses propres empêchements. Prendre cette liberté c’est outrepasser les blocages qui l’empêchent.

Il n’est, non plus, pas question de confiance en soi, car le geste, la trace, le choix de la couleur et de la forme, bref les choix que fait l’artiste au cours de sa création, n’existent que par la conscience du choix fait et non pas par la conscience de la raison de ce choix qui reste spontané, intuitif, subjectif, expressionniste au sens littéral car transposant l’expression du ressenti présent à l’instant du choix avant de s’évanouir à tout jamais, une fois posé sur la toile.

Ce ressenti, ou un autre, n’est-il pas ce que le spectateur retrouve dans le dialogue instauré à la vue d’une œuvre ; d’après Ernest Pignon Ernest, « l’œuvre n’est pas le dessin mais ce qu’elle va provoquer » c’est donc bien l’émotion qui fait œuvre.

Peindre est une exigence, une évidence, je ne peux faire autrement.

 

SUR L’ABSTRACTION

L’abstraction c’est l’abandon de la représentation au profit de la présentation. Il n’y a plus d’objet, plus de « sujet représenté ou interprété » mais uniquement la présence des effets de matières au sein de l’œuvre. Les œuvres rompent leurs liens avec toute forme d’imitation et un nouveau langage plastique s’invente, dont les composants, matières extra-artistiques, (formes, matières, couleurs) sans omettre les collages, ne sont plus débiteurs ni d’une quelconque réalité, ni d’une quelconque signification imposée « à priori » par l’image ;

Cependant, si la forme et la couleur trouvent leur autonomie dans tous les domaines artistiques, il en va autrement de la matière car celle-ci doit être dénaturalisée, dissolue. La loi de la surface et la loi de la planéité font place à celle de « la croûte » dont les composants s’affichent en tant qu’éléments plastiques autonomes. Toutes les matières, initialement hétérogènes, devront se fondre dans une unique matière picturale qui constituera l’œuvre. La production plastique s’enrichit par des mélanges, hydridations, réunions, juxtapositions, imbrications d’éléments qui modifient, parfois avec violence, nos habitudes esthétiques ; la matière, extraite, isolée, malaxée, broyée ou modelée, perd son apparence brute et se transforme en substance malléable intégrée dans la composition. La matière sera toujours soumise à la forme. La présence de la matière dans l’œuvre s’accompagne toujours de violence, violence liée à la destructuration, fragmentation, voire destruction partielle ou multiplication de la matière.

L’œuvre se construira alors entièrement à partir de matières ou d’éléments disparates. Les composants forment alors des rencontres hétérogènes, des mélanges inattendus, qui n’aspirent à aucune fusion et où chaque élément garde sa spécificité ; le regard est invité à s’ajuster constamment pour apprivoiser ces reliefs et glisser à la surface des matières incorporées ; ces matières incorporées donnent l’impression d’être tenues ensemble sinon par unité du moins par cohérence et ce malgré les ruptures introduites et les tensions permanentes entre constructions et déconstructions.

L’univers créé est alors celui d’un microcosme entièrement replié sur lui-même, et n’attend rien d’autre que son entièreté, son étrangeté, son mystère.

 

 

SUR LE GESTE

Le geste est fulgurance, instant d’énergie suspendu dans le temps. La surface de la toile devient le support de l’émergence de la pulsion créatrice  ; qu’elle se traduise par d’amples jaillissements ayant valeur de signes, par des matières griffées, grattées, entre traces et écritures, par des liquidités transparentes ou par des principes d’élaborations sériels, le hasard vient se substituer aux décisions de l’artiste. Traces, empreintes, ratures, coulures, ‘gribouillis » sont autant d’accidents survenus dont l’artiste tirera partie en profitant du hasard pour approfondir ses recherches.

Le geste, c’est le mouvement du corps, des bras, des mains, qui   s’imprime sur la toile. Ample, rapide, saccadé, violent, minutieux, le geste induit un sentiment, une émotion, un caractère.

On distingue la trace laissée par le geste ou bien celle laissée par l’outil même si ces traces peuvent, parfois, se confondre.

Le signe est une marque, un repère, il indique, communique et raconte ; les gestes sont les signes du corps, et il peut être incompréhensible, et il faut alors, pour pouvoir le lire, posséder des clés ;

L’espace est littéral ou bien suggéré : suggéré dans le cas de la peinture figurative qui donne l’illusion de la profondeur et de la perspective, il est littéral dans le cas de la peinture abstraite puisque l’espace est le support ; c’est aussi le spectateur qui crée l’espace qu’il soit couché, debout, en mouvement ou en repos, il voit l’espace différemment.

Kandinsky disait que « le tableau doit être composé comme une musique et sonner comme une symphonie de couleurs »

La musique comme la peinture déclenche des sentiments d’harmonies et de dissonances et la couleur doit se concentrer en « accords de couleurs » Paul Klee était également musicien et parlait sur sa peinture de rythmes, polyphonies, harmonies, sonorités, intensités, variations….

 

SUR LE SENS DE MA DEMARCHE PICTURALE :

Aucun tableau, aucun espace créé ne porte de nom car donner un « titre » à un tableau est orienter un sens, donner une « explication » à ce qui n’en réclame  pas. Le titre donne, inévitablement, une orientation d’interprétation. Pourquoi donner un sens, une signification intellectuelle plutôt que de rester, uniquement, dans la perception émotionnelle ; le spectateur doit pouvoir rester dans son ressenti « pur », celui perçu sans filtre dans et par son intimité singulière et donc mystérieuse.

Outre les tonalités, les couleurs, les textures, laissées volontairement apparentes, vivantes, expressives, celles-ci parlent d’une histoire vécue, d’empreintes de ce qui a été et qui n’est plus, révélant autant d’accidents qui pourraient être les cabossages de la vie et certainement ceux de ma propre existence.

A travers ma peinture je suis certainement en recherche de sens ; au travers des empreintes laissées volontairement sur ma toile, j’interroge sans aucun doute les traces de mon histoire personnelle ; l’abstraction s’impose à moi intensément, peut être le meilleur moyen de faire surgir une réponse, autant que cela est possible.

 

 

 

 

 

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